Le fils du charretier
« … à partir de ce jour-là je n’eus plus aucun doute au sujet de ma vocation. »
Don Dino Torreggiani naît à Masone près de Reggio Emilia le 7 septembre 1905 dans une famille ouvrière. Son père Giacomo, qui travaille comme charretier, et sa mère Caterina, profondément chrétiens, sont veufs et remariés; ils eurent dix enfants et Rosa, une enfant trouvée, acceuillie comme une fille et aimée de tous.
Chaque hiver la famille Torreggiani abrite sous un auvent une roulotte de gitans: aucun problème de cohabitation, au contraire: souvent ils se retrouvent convivialement assis autour de la même table.
Dino est de petite taille mais en bonne santé, tranquille et studieux: dès l’âge de huit ans, les souliers accrochés aux épaules pour ne pas les user, il parcourt chaque jour les 15 km qui le séparent de l’école de via Gasco au centre ville.
Le 11 juin 1914 un évènement tragique perturbe la vie familiale: le cousin du père, aprés une violente altercation avec le curé de San Bartolomeo pour lequel il travaille, le tue.
En apprenant cela, Caterina, bouleversée mais lucide, déclara au jeune Dino: « Tu le remplaceras: tu seras prêtre! ». Cette phrase marque un tournant dans sa vie: « A partir de ce jour-là je n’eus plus aucun doute au sujet de ma vocation: les circonstances de la vie sont au service de la volonté de Dieu« .
Jeune séminariste
« Jésus, je ne sais pas en quoi je peux t’être utile. Mais si tu as besoin de ciment pour construire ta maison, pulvérise mes os, mélange-les avec mes larmes et avec mon sang et fais-en ce que tu veux… »
Au mois d’avril 1917 Dino entre au Séminaire diocésain où il est apprécié pour sa vive intelligence, son sens du devoir et son esprit de service.
Sous la direction de maîtres sages et en compagnie de camarades de dortoirs tels que Cesare Bezzecchi, futur missionaire qui mourra sur le rives du Nil, Pasquino Borghi lui aussi missionaire en Afrique puis martyr de la Résistance, Mario Grazioli qui sera interné dans un camp de concentration, Umberto Pessina et Carlo Terenziani, tués aprés la Libération, Dino élabore petit-à-petit une image précise de la figure du prêtre, homme «dépouillé» comme Jésus à Bethléem, un homme «crucifié» comme Jésus sur le Calvaire, un homme «dévoré» comme Jésus dans l’Eucharistie.
« Le véritable disciple de Jésus-Christ » du Bienheureux Chevrier sera dès lors un des livres qu’il méditera et partagera le plus.
Le don Bosco de Reggio Emilia
«Tout ce qui fascine ne sanctifie pas forcément. Tout ce qui vient à l’esprit n’est pas forcément vrai. Tout ce qui est bon pour les autres n’est as forcément bon pour nous … »
Ordonné prêtre le 24 Mars 1928, après une brève période en tant que vice-recteur du séminaire (où il introduisit le jeu du football), Don Dino est nommé directeur adjoint de l’Action Catholique et responsable du Patronage «San Rocco».
Des centaines de jeunes de la ville et des quartiers périphériques de Reggio Emilia – étudiants et ouvriers, intellectuels et prolétaires, nomades et ex-détenus, employés et militaires – se rendent régulièrement au patronage toujours ouvert à tous, surnommé « Caravansérail de Saint-Roch » ou « Arche de Noé ». Le lieu est pauvre mais polyvalent; outre la vaste cour intérieure, sa vraie richesse se base sur le climat fraternel, sur les valeurs qu’on y respire, surtout celles de la pauvreté évangélique et de l’amitié.
En plein régime fasciste, alors que Mussolini proclame un Etat basé sur la force, le défi et la conquête, Don Dino et ses valeureux collaborateurs, prêtres, séminaristes et laïcs, proposent à tous la spiritualité de la charité et du service.
Très rapidement Saint-Roch se propose comme une alternative à la fasciste Nationale Balilla et devient une école populaire d’Evangile vécu, un laboratoire d’œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, une véritable « université » (selon don Dossetti) où l’on apprend à conjuguer vocation et mission, pauvreté et service, vie intérieure et engagement social.
Aux yeux de bien des personnes, don Dino est le « St Jean Bosco » de Reggio Emilia, le prêtre qui sait toucher et valoriser des dizaines de prêtres, de séminaristes, de très nombreux laïcs, adultes, jeunes et enfants.
Don Dino est à la fois généreux et exigeant avec chacun: à certains il demande beaucoup et même tout, leur proposant une consécration totale au Seigneur.
Saint-Roch devient une source vive pour une quantité d’initiatives : Centre Etudiants, Conférence Universitaire Saint-Vincent, Foyer pour ouvriers et militaires souvent analphabètes, Collège Pier Giorgio Frassati pour jeunes étudiants, Dortoir de l’Enfant Jésus pour adultes à la dérive, Centre de retraites spirituelles don Mario Bertin, Petit Collège St Joseph (presque un petit séminaire pour les garçons trop pauvres pour le séminaire diocésain).
Saint Joseph, l’économe de la Providence, s’occupe de tout et de tous !
Saint-Roch fut aussi l’humus commun à trois familles religieuses de Reggio, chacune naissant pour souligner un charisme complémentaire des deux autres :
- la primauté de l’initiative divine et donc l’écoute de la Parole de Dieu, soulignée par la « Petite Famille de l’Annunziata », fondée par don Dossetti ;
- l’attention aux marginaux, souvent ignorés même par les communautés chrétiennes, mais prise à cœur par la famille des Serviteurs de l’Eglise ;
- l’amour envers les plus faibles, affectés d’infirmité physique ou mentale, proposé par les Maisons de la Charité fondées par don Prandi.
Une sainte amitié liera toujours les trois fondateurs, et profonde sera leur commune vénération pour Mère Giovanna, fondatrice des Sœurs du Verbe Incarné, et pour don Ruggero, fondateur des Sœurs du Cénacle Franciscain.
Prêtre des gens du voyage, des cirques, des fêtes foraines
« Cet épisode fut une révolution pour mon âme, un point tournant dans ma vie … une vie d’errance, libre et heureuse parmi les «donneurs de joie pour le peuple »
Un jour de mars 1931 des enfants du Patronage informent don Dino que dans les parages il y a des gens qui pleurent autour d’une roulotte : on dit qu’une femme est en train de mourir. Don Dino racontera par la suite :
J’y courus sans penser à rien d’autre que de porter le réconfort religieux à une mourante. Je fus accueilli avec cordialité et reconnaissance. Je me souviens de ces funérailles qui furent édifiantes pour toute la paroisse. Sans que je m’en aperçoive cet épisode devait marquer ma vie… Quelques semaines plus tard je retournai sur les lieux, presque poussé par une force mystérieuse. Deux roulottes et un petit cirque remplaçait la précédente, déjà partie vers un autre destin. J’observais une femme qui faisait la lessive : « Venez donc, Père » me dit-elle « nous sommes chrétiens nous aussi »… La même année on m’appela pour aider des familles de forains à se préparer aux fêtes de Pâques. Ce fut une révolution pour mon âme. Je fis connaissance avec ces familles et découvris un nouveau monde de personnes amies et cordiales … J’ai gardé quelques photos de cette époque : visages et épisodes qui remplissent de joie mon âme sacerdotale …
Don Dino réalisait ainsi son rêve de se dédier aux catégories les plus abandonnées. C’était une des grâces particulières qu’il avait demandé par écrit à Notre Dame de la Ghiara le 25 mars 1928, jour de sa première Messe.
Pendant des décennies ce monde inexploré des Sinti et des Roms, nomades et gens du cirque formera sa nouvelle grande famille. Et à ceux qui lui reprocheront son amitié avec des voleurs de poules, don Dino dira: «Quand les gitans arrivent, fermez vos poulaillers et ouvrez votre cœur».
En 1958 l’OASNI (Œuvre pour l’assistance spirituelle des nomades en Italie) voit le jour. Don Dino, qui en a été l’inspirateur et le promoteur, sera nommé par le Pape directeur national. L’œuvre devient quelques années plus tard le service pastoral MIGRANTES, activité de la conférence épiscopale pour les forains et gens du voyage, depuis lors toujours dirigée par un Serviteur de l’Église.
Un prêtre diocésain qui prononce des vœux
« Voilà les grâces spéciales de mon sacerdoce : mettre en pratique les vœux religieux tout en restant prêtre diocésain et me donner aux plus abandonnés »
Les années 1930-35 sont pour Don Dino une période intense, presque frénétique de travail, toutefois traversées par une douloureuse recherche intérieure. Des prêtres et modèles illuminés le guident, parmi lesquels Mons. Spadoni, vicaire général, enseignant de théologie au séminaire, père spirituel de don Dino et de nombreux prêtres et laïcs consacrés, rassemblés dans la « Pieuse Société des Fils de l’Amour Divin ».
Malheureusement en 1935 Mons. Spadoni s’oppose violement à l’Evêque Brettoni lequel lui reproche le modernisme excessif de sa doctrine spirituelle. Mons. Spadoni est suspendu « a divinis ».
Cela a un effet traumatisant sur tout le diocèse. Pour don Dino c’est une épreuve terrible, une nuit de l’esprit. L’évêque lui demande de prendre les distances de Mons. Spadoni, d’abandonner tout projet de consécration et de quitter Saint-Roch. La mort dans le cœur mais conservant la foi, don Dino obéit. Il dira plus tard : « L’obéissance à l’évêque fut mon salut ». A partir de ce moment-là il basera son action ecclésiale sur le principe de Saint Ignace « nihil sine episcopo » (jamais rien sans l’évêque).
C’est ainsi que don Dino est envoyé en 1936 dans la paroisse de Sainte Thérèse qu’il préfère aux autres, étant la plus pauvre de la ville. Et là il recommence, ouvrant sa maison à tous, transformant le petit potager en terrain de jeu et soignant de manière particulière l’Union des Catéchistes. Il s’agit d’un groupe de jeunes gens et don Dino entrevoit chez certains les signes évidents d’une vocation : Gino Colombo, Alberto Altana, Giuseppe Dossetti, Osvaldo Piacentini e Paolo Cigarini. Ces derniers seront deux pionniers du diaconat permanent.
En tant que curé de la paroisse Don Dino devient également par statut directeur de l’Institut Artigianelli fondé par don Zefferino Iodi pour la formation humaine, chrétienne et professionnelle des enfants pauvres du département. Les années de la guerre sont dramatiques mais l’abnégation et la confiance totale de don Dino en la Providence sauvent les Artigianelli de la faim et de la catastrophe.
En décembre 1940, Don Dino, l’étudiant universitaire Alberto Altana et le jeune catéchiste Gino Colombo, gravement malade, prononcent des vœux privés de pauvreté, chasteté et obéissance avec la permission de l’évêque. Pour don Dino, il s’agit du deuxième vœu exprimé par écrit à Notre Dame de la Ghiara le jour de sa première Messe.
Gino Colombo, miné par la maladie, meurt quelques jours plus tard, offrant sa vie pour le salut des jeunes.
Don Dino ne se cantonne pas aux problématiques de sa paroisse mais visite aussi régulièrement les périphéries prolétaires de Reggio, entrainant avec lui des laïcs dans ce service pastoral, caritatif et social en particulier au Village Catellani où sera envoyé quelques années plus tard le jeune prêtre don Altana.
Aumonier des prisons et des ex-détenus
«Oui, oui, parfois nous avons manqué de prudence, parfois nous avons été volés, calomniés, nous avons subi l’ingratitude, mais l’amour est tout, purifie tout » (novembre 1966)
Début 1945 la guerre prend fin et, avec l’accord de l’Evêque, don Dino renonce à la paroisse pour se dédier entièrement aux jeunes, pauvres pour la plupart, que don Dino considère appelés à une vocation : ils deviendront les futurs Serviteurs de l’Eglise.
Les années passées à Saint-Roch et à Sainte-Thérèse l’ont pétri comme directeur spirituel apprécié par de nombreux prêtres, séminaristes et laïcs. La saison semble propice à de nouvelles semailles et depuis longtemps don Dino travaille le terrain.
Lentement, avec mille difficultés, mais avec décision et courage, il travaille pour offrir à l’Eglise et à la société un nouveau « signe », un service particulier : des prêtres et des laïcs se consacrant par des vœux entre les mains de l’évêque.
Don Dino commence ainsi à écrire pour eux un règlement et des prières et à chercher un lieu pour les rassembler et les former. Ils se retrouveront d’abord dans une aile semi-détruite de l’hôpital, puis dans l’ex-prison fasciste des Servites, enfin au collège Saint Joseph à Guastalla. De 1946 à 1975 une vingtaine de jeunes gens se prépareront à devenir prêtres Serviteurs de l’Eglise tandis que d’autres choisiront de former des familles chrétiennes et sereines.
Entretemps en 1946 don Dino a été nommé aumônier de la prison de St Thomas, charge qu’il conservera jusqu’en 1970. Avec don Girelli et d’autres confrères il visite de nombreuses maisons d’arrêts italiennes, organisant partout les missions populaires pour les prisonniers, pour les agents de détentions et leurs familles. Le service spirituel s’étendra vite à la réinsertion sociale et civile des ex-détenus, souvent rejetés par leur famille et par la société. Don Dino ouvrira pour eux des foyers d’accueil à Reggio, Vérone, Pérugia, Baggiovara et Cognento, dans le département de Modène.
Le ministre de la Justice lui consignera en 1961 la médaille d’argent au mérite de la rédemption sociale pour ses multiples initiatives en milieu pénitencier.
Fondateur des « Serviteurs de l’Eglise »
« L’Institut est l’œuvre de Dieu, uniquement l’œuvre de Dieu. C’est la famille grâce à laquelle nous arrivons à l’amour d’une famille plus grande, le Diocèse, l’Eglise ».
En février 1947 le Pape Pie XII approuve officiellement les Instituts Séculiers comme forme authentique de consécration et de sanctification.
Dorénavant les prêtres diocésains et les laïcs pourront renforcer par des vœux leur sacerdoce et leur baptême, sans devoir entrer au couvent ou dans une congrégation religieuse. Les prêtres pourront émettre des vœux tout en restant au sein du clergé diocésain, et les laïcs en demeurant dans leur milieu familial et de travail. C’est exactement ce que don Dino avait toujours espéré et c’est ce qu’il a essayé de « semer » et faire murir à plusieurs reprises un peu partout, avec un succès variable.
L’année suivante, le 19 mars 1948, fête de Saint Joseph, le nouvel évêque de Reggio Mons. Socche, avec l’approbation du Saint Siège, reconnait les « serviteurs de l’Eglise » comme Institut Séculier de droit diocésain. Au moment de cette approbation l’Institut ne compte que trois membres consacrés : don Dino, le séminariste Alberto Altana, et Enzo Bigi, un employé laïc.
Les années successives des vocations arrivent du clergé diocésain, d’autres du Collège Saint-Joseph de Guastalla, de l’Action Catholique et du mouvement des sacristains ; pour ces derniers don Dino s’était beaucoup dépensé afin d’assurer leur promotion spirituelle, professionnelle et sociale, même à l’étranger.
L’Institut, toujours considéré par don Dino comme une pure œuvre divine, deviendra dorénavant la pupille de ses yeux, sa couronne et sa croix : les Serviteurs de l’Eglise devront former une famille de consacrés dignes de servir le Christ et l’Eglise, honorés de partager l’Evangile et la vie avec les personnes frappées de pauvretés nouvelles et anciennes.
« Je ne suis qu’une pauvre lavette à vaisselle. Pour faire resplendir le sacerdoce de Jésus, il faut de bons chiffons. Mes frères seront de pauvres chiffons, de bons chiffons ».
Fils de la Providence, ami des pauvres
« Je n’ai pas besoin de croire à la Providence : je la vois, je la touche de mes mains. Voici mon premier portefeuille qui a vu ses nombreux miracles ».
Pendant environ trente ans don Dino donne libre cours à sa créativité spirituelle et à son dynamisme apostolique. De Milan à Trapani, de l’Espagne au Madagascar, « l’aventurier de la charité » – ainsi l’appellera Mons. Baroni – est présent, visite, écrit, crée des services, ouvre des maisons d’accueil et des centres de formation, anime des congrès, implique des évêques et des hommes politiques, dirige les consciences, cherche et oriente les vocations… et prie : en voiture, en train, en prison, au cirque, à la chapelle devant le Tabernacle, dans sa chambre pendant les longues nuits sans sommeil…
Beaucoup lui demandent : Mais où trouvez-vous toutes ces idées, toute cette force, tout cet argent ? ». Don Dino n’a aucun doute : « Tout nait du tabernacle et de la croix, tout passe par les mains de Marie et de St Joseph, tout est don de la Providence de Dieu. Il suffit d’avoir confiance, d’aimer la pauvreté et de vivre avec les pauvres ». La Maison de Badia Polesine pour les enfants sinti, celle de Treviso pour les jeunes forains, celle de Scandicci pour les personnes âgées du cirque, celle de Corciano et Baggiovara pour les ex-détenus, le collège de Guastalla et la maison de Reggio pour les séminaristes… enfin les quinze maisons ou services de l’Institut en Italie, Espagne et Madagascar , chacun relié à un mystère du Rosaire sont tous des miracles de la Providence.
« Je n’ai pas besoin de croire à la Providence : je la vois, je la touche de mes mains. Voici mon premier portefeuille qui a vu ses nombreux miracles ».
Précurseur du Concile et témoin inquiet de l’après-Concile
« Pour une Eglise totalement consacrée, toute ministérielle, toute missionnaire » (déc. 1979)
Le Concile Œcuménique Vatican II fut la Pentecôte de l’Eglise du vingtième siècle ; une Eglise qui avait besoin de conversion, de renouvellement, de courage. Don Dino suit le Concile de près, parfois presque de l’intérieur, vu ses bonnes relations avec les prélats et théologiens qu’il rencontre à Rome.
Il est enthousiaste et ému quand il apprend que le Concile confirme ce dont lui-même avait eu l’intuition anticipatrice à propos de liturgie, de pauvreté de l’Eglise, de service aux pauvres, de ministères, de formation des prêtres, d’apostolat des laïcs.
Il manifeste perplexité et inquiétude quand il voit que le Concile prend les distances de certains points de doctrine ou institutionnels et s’éloigne vers des horizons imprévisibles en matière d’ecclésiologie, d’œcuménisme, de liberté religieuse, de dialogue entre les religions et avec le monde.
Il est consterné par l’évolution des peuples victimes du matérialisme athée et amoral, qu’il soit de matrice communiste ou capitaliste. Don Dino a des craintes pour les pauvres, de plus en plus nombreux et vulnérables, pour l’Institut, exposé à la culture de l’éphémère, pour l’Eglise qu’il aime et qu’il désire voir triompher. Mais le « triomphe de l’Eglise », expression qui lui est si chère, est exclue des textes conciliaires. C’est sans doute un changement de prospective. Mais don Dino craint que le mal triomphe à la place du bien.
Les années qui suivent le Concile représentent pour lui une nouvelle et longue nuit de l’esprit : les attaques contre la personne et l’autorité du Pape, la crise des vocations, la perte du sens de péché, l’idolâtrie envers le dieu argent, le risque d’une guerre nucléaire le font trembler et l’angoissent. Don Dino est tenté de se réfugier dans les souvenirs du passé, d’en rester aux splendeurs de la Papauté et de la civilisation chrétienne. Mais la fuite en arrière n’est pas dans sa nature, lui qui a si bien su anticiper les temps.
Alors il repart, s’accrochant avec foi aux textes du Concile et au magistère de Paul VI, engageant toutes ses forces pour le diaconat, le renouvellement du clergé et pour les missions, un vieux rêve.
Cette triple passion le consommera totalement, tel un holocauste.
Promoteur du Diaconat
« Le diaconat permanent, antique perle du trésor de l’Eglise … L’autel du sacrifice et la table des pauvres sont le centre de l’activité diaconale » (sept 1964)
La renaissance du diaconat permanent est un don que l’Esprit fait à l’Eglise par le biais du Concile. Les intuitions et les convictions de don Dino à ce sujet ont précédé et inspiré la décision conciliaire.
En effet, lorsque le Concile reprend en septembre 1964, don Dino aidé par don Dossetti écrit et fait circuler auprès des évêques un mémoire sur le diaconat qui sera publié en plusieurs langues dans de nombreuses revues.
Se basant sur les expériences vécues en matière de service caritatif, social et liturgique, don Dino développe la thèse suivante : Christ est présent mais abandonné dans le tabernacle comme dans les pauvres ; et les pauvres sont abandonnées dans l’Eglise comme dans la société. Il existe un lien immuable entre le service liturgique et le service social, entre la table eucharistique et la table des pauvres. Le diacre exprime de manière sacramentelle ce lien et sa diaconie amènera à une meilleure compréhension du ministère épiscopal et sacerdotal. « Evêque, prêtre, diacre : voilà la diaconie parfaite ! L’urgence actuelle du diaconat n’est pas due à la diminution du clergé mais à la redécouverte du mystère du Christ et du ministère de l’Eglise, appelée comme le Christ à être pauvre et servante de l’humanité pour le salut de tous ».
Toute de suite après le Concile don Dino concrétise en ouvrant à Baggiovara une première « Ecole de formation » pour futurs diacres. La Conférence Episcopale Italienne stoppe l’activité, la considérant prématurée et inopportune. Don Dino obéit. Baggiovara devient alors un Centre d’animation.
Quelques années plus tard, en 1970, don Altana fera naitre dans ce Centre la « Communauté du diaconat en Italie », ferment de renouvellement ecclésial pour une nouvelle évangélisation basée sur une pastorale de communion.
Rêvant de la mission
« La route de la mission est ouverte ! On dirait un rêve mais c’est aussi la chose la plus simple et la plus naturelle du monde » (oct. 67)
Par sa nature-même l’amour se communique et tend à l’universalité. Il n’admet ni exceptions ni limites, pas même géographiques.
Les années du Concile sont une période de grâce du point de vue missionnaire aussi. Auparavant don Dino regardait déjà au loin, rêvant à l’Amérique Latine. Il avait ouvert au début des années 60 trois maisons de formation en Espagne et cela représentait à son avis un tremplin idéal pour la future mission outre-océan.
Toutefois en 1967 il laisse l’idée en suspens et répond à l’invitation du nouvel évêque de Reggio, Mons. Baroni, en participant à la mission diocésaine au Madagascar, tout d’abord avec deux Serviteurs de l’Eglise, puis progressivement avec cinq autres. Cette obéissance sera féconde pour l’Institut qui a aujourd’hui une trentaine de consacrés en terre malgache, dont un tiers de jeunes prêtres. En outre c’est justement au Madagascar que se développe de manière surprenante la branche féminine de l’Institut et celle des époux.
La mission en Amérique Latine, plus exactement au Brésil et au Chili, se réalisera après la mort de don Dino, qui a lieu en Espagne en 1983 : une mort en mission, pour la mission. D’autant plus que ce sera un espagnol, Antonio Romero, qui partira pour le Chili après trente ans de service au Madagascar.
Obéissant aux Evêques, ami des Papes
« L’Esprit Saint les a choisi : Il en sait plus que nous »
Dès le séminaire don Dino semble avoir une conception claire du sacerdoce, mais impensable en ces temps : celle du prêtre diocésain qui se consacre par des vœux. Don Dino ne veut pas devenir religieux : il veut rester diocésain mais prononcer des vœux entre les mains de l’Evêque.
C’est une « grâce » qu’il demande directement à Notre Dame de La Ghiara le jour de sa première Messe. On a vu que l’obéissance à l’évêque Brettoni l’avait préservé de la crise spadonienne au début de son sacerdoce. Plus tard, l’obéissance « missionnaire » à l’évêque Baroni sera garantie de fécondité pour l’Institut.
Don Dino, dans la foi et par expérience, considère le sacrement de l’Evêque comme la grâce et la garantie de faire la volonté de Dieu.
Face aux inévitables faiblesses humaines des évêques , don Dino les défend, ou plus exactement il défend l’action de Dieu : « L’Esprit Saint qui les a choisi en sait bien plus que nous ». Cela ne l’empêche pas d’être tenace et même obstiné avec les évêques quand la sainteté de l’Eglise et le service des pauvres l’exigent.
Ce regard s’applique d’autant plus aux Papes, qu’il connait et qui le connaissent personnellement. En 1954 il est nommé par Pie XII « Chambellan de Sa Sainteté », honneur qui sera réitéré en 1963 par Jean XXIII.
Don Dino en est orgueilleux comme il est extraordinairement heureux de pouvoir offrir aux Papes un moment de délassement avec les artistes du cirque pour lesquels il demande et obtient des audiences particulières.
En les remerciant le Pape Jean dira : « Je ne peux pas sortir d’ici : revenez me voir ! ». Précédemment Pie XII avait exhorté don Dino ainsi : « Faites de chaque cirque une cathédrale ! ». Effectivement don Dino a célébré bien des Messes surprenantes sous les chapiteaux. Les journaux relateront le baptême qu’il administra dans la cage aux lions du Cirque Orfei en mars 1957.
Homme de prière, ménestrel de la sainteté
« Pour renaitre de nos ruines nous devrons mettre à notre tête des Saints, « les seuls Gentilshommes », afin qu’ils guident les techniciens, les politiciens et les économistes » (1944)
Dans son testament spirituel, modifié en 1979 pour la dernière fois, don Dino affirme avoir toujours placé au sommet de ses pensées, prières et actions quotidiennes la sainteté de l’Eglise, la paix dans le monde et la fécondité de l’Institut .
Encore séminariste il se lance un défi, écrivant sur son journal : « Je serai saint, ou perdant ». En 1977 il écrit à un confrère de l’Institut : « Oui, c’est vrai, j’ai beaucoup fait, j’ai réalisé tant de choses, mais je ne suis pas encore saint. Donc c’est moins que zéro! »
A chaque voyage don Dino emmène son bréviaire et une ou deux biographies de saints: ce sont « les seuls vrais Gentilshommes ».
Les Saints sont ses confidents et inspirateurs habituels : tout d’abord Marie, mère de l’Eglise et Vierge du Rosaire à laquelle il est profondément dévoué ; Saint Joseph, patron et trésorier incontesté de l’Institut ; puis Saint Ignace d’Antioche, le saint de « Nihil sine Episcopo » ; le Bienheureux Chevrier, aujourd’hui saint, dont il puise l’idéal de « prêtre-homme dépouillé, crucifié et mangé ». Enfin Don Bosco, l’inspirateur de son ministère pour la jeunesse, Saint Vincent de Paul, le saint de la charité, Saint Joseph Cafasso, le saint patron des prisonniers, Sainte Catherine de Sienne, dont il partage la passion pour l’Église et pour le Pape …
Mais don Dino est aussi écrivain et poète de la sainteté.
Il prend volontiers la plume et trouve le temps d’écrire lui-même de petites biographies originales de laïcs et prêtres contemporains exemplaires qu’il a connus personnellement, comme Gino Colombo (le « Domenico Savio » du Patronage de Saint-Roch) et Fulvio Lari, don Giuseppe Reverberi, don Zefferino Iodi, don Carlo Terenziani, don Giuseppe Barbieri et même Mons. Socche, évêque de Reggio Emilia.
A ces biographies, fraiches et incisives, il faut ajouter d’autres écrits destinés à promouvoir des causes de béatification, comme celle du gitan espagnol Cèferino Jiménez Malla, dit « El Pelé », tué le 9 août 1936, pendant la guerre civile, pour avoir défendu un prêtre et parce qu’il n’avait jamais voulu se séparer de son rosaire pendant qu’il était en prison. Don Dino fut le premier à en parler au Pape Jean-Paul II, le 14 décembre 1980, en lui donnant un petit livret intitulé « Un gitan qui a l’étoffe d’un saint ».
Le pape Jean-Paul II le proclama bienheureux le 4 mai 1997.
Serviteur souffrant et offrant
« Nous avons besoin de saints prêtres, prêtres du tabernacle et du rosaire, aux genoux usés, prêtres fermentés dans le vin de Messe, annulés dans le sacrifice de Jésus » (1944)
Au début des années 70, pensant au futur de l’Institut, don Dino demande que d’autres en prennent la direction. Don Altana, puis Renato Galleno e don Angelo s’efforceront avec difficulté de conserver et d’actualiser l’héritage du fondateur.
C’est le début d’une période difficile pour don Dino : bien qu’affaibli, il réagit vigoureusement et parfois durement quand il n’est pas écouté par ceux qui dirigent l’Institut, ou quand le charisme original, dont il se considère l’interprète principal, est trahi à ses yeux.
C’est à cette époque qu’il écrit un texte relatif à une vision claire et distincte du Sacré-Cœur qui promet de futures vocations et lui demande d’offrir sa vie pour l’Institut.
Le 30 août 1983, malgré la forte opposition de ses confrères et de sa famille, don Dino part pour l’Espagne. Sa santé est précaire: il souffre de diabète et du cœur.
Mais les signes de la volonté de Dieu lui semblent clairs : la bénédiction de l’évêque, le consentement du médecin et assez d’argent pour le voyage.
« Je vais en Espagne, y mourir si c’est nécessaire» déclare don Dino. La fondation espagnole est la prunelle de ses yeux, le tremplin de rêve pour l’Amérique Latine. Mais la situation stagne en termes de vocation et cela le tourmente. Don Dino, en tant que fondateur, veut relancer la fondation espagnole et l’Institut.
Il part convaincu de faire la volonté de Dieu, prêt à s’offrir en sacrifice, comme une semence qui meurt pour une nouvelle fécondité de la famille des Serviteurs.
Dans la maison de Paredes il se rend souvent et longuement devant le tabernacle, prie beaucoup, prend des notes, soupire et semble attendre quelque chose. Parmi les notes de ces jours-là : « C’est beau de mourir de fatigue. Le dernier à se taire sera peut-être mon cœur sacerdotal ».
Le 26 septembre après-midi, alors qu’il se trouve chez don José à Castrejon de la Peña, donc à plus de 100 km de Palencia, don Dino est victime d’une crise cardiaque fatale. Le transport à l’hôpital en ambulance est très pénible, don Dino souffre énormément et supplie plusieurs fois à don José de lui administrer l’extrême-onction. Il arrive à Palencia dans un état désespéré et, malgré les soins reçus, meurt le lendemain, fête liturgique de St-Vincent de Paul, père des pauvres.
Ses funérailles sont célébrées dans la cathédrale de Reggio le 4 octobre, fête de St François, le saint de la pauvreté. A la Messe célébrée par Mons. Baroni participent les prêtres de tout le diocèse et de très nombreux pauvres : leurs manifestations spontanées de foi et d’attachement sont le témoignage vivant de tout ce que don Dino a semé dans leurs cœurs. Un groupe d’enfants sinti chante dans leur langue une prière de louange a Dieu.
Don Dino est enterré à Masone, village où il a vu le jour et où son corps attend maintenant la résurrection.
« Nous sommes comme les pont-levis des anciens châteaux : quand tous sont passés à travers nous, nous soulevons encore les bras pour nous réfugier dans l’éternité ».
A l’occasion du centenaire de la naissance de don Dino, la famille des Serviteurs de l’Eglise, tout en renouvelant sa fidélité au fondateur, le présente à tous comme homme de Dieu, ami des pauvres, vrai serviteur de l’Eglise.